19 Août 2019
Petit livre de 187 pages, police 14 et pas de subdivisions internes : lecture rapide et efficace. Efficace parce que c'était beaucoup plus drôle que ce à quoi je m'attendais. Je m'attendais à un classique mais Stupeur et tremblements n'est en rien classique ! Enfin, si on entend par classique le cliché des livres ennuyeux qui décrivent dans les trois quarts de l'intrigue la société des XVIII et XIXème siècles. Même si, bien sûr, tous les classiques ne sont pas comme ça. En deux-trois heures, j'avais découvert l'humour d'Amélie Nothomb.
Dans les années 90, la narratrice Amélie est embauchée dans une société japonaise qu'elle surnomme Yumimoto, en tant qu'interprète. D'origine belge, elle nourrit depuis toute petite le rêve de travailler là où elle est actuellement. Elle a aussi vécu en Chine, mais un peu déçue par leur peu de civilité en société, c'est avec un fol espoir qu'elle se redirige vers le Japon. Mais ce n'est pas ce qu'elle espérait. Personne n'ose lui confier de travail, aussi commence-t'elle par apporter les cafés, mettre les calendriers à jours, et un peu plus tard :
J'eus droits à un savon mérité : je m'étais rendue coupable du grave crime d'initiative.
à propos de la distribution du courrier. Elle semble isolée dans ce milieu hostile. Elle avait bien de la sympathie pour sa supérieure, Mori Fubuki, avant que celle-ci ne dénonce sa collaboration avec un employé pour la rédaction d'un article sur le beurre, en anglais et dont une importante part des informations étaient détenues par l'Ambassade de Belgique. Fière de ses efforts, Amélie voyait déjà devant elle s'étendre sa nouvelle carrière.
- Vous êtes ma supérieure, oui. Je n'ai aucun droit, je sais. Mais je voulais que vous sachiez combien je suis déçue. Je vous tenais en si haute estime.
Elle eut un rire élégant :
- Moi, je ne suis pas déçue. Je n'avais pas d'estime pour vous.
Sa si prometteuse carrière tombant à l'eau, Amélie est bien obligée de se rendre utile, mais les postes que lui confie sa supérieure sont pour le moins dégradants.
Ce livre est littéralement tordant. On perçoit assez clairement la folie intérieure qui s'empare du personnage, à force de descendre dans la hiérarchie :
C'est une grande chose que de savoir quand on va mourir. On peut s'organiser et faire de son dernier jour une œuvre d'art. Au matin, mes bourreaux arriveront et je leur dirai : " J'ai failli ! Tuez-moi. Accomplissez mon ultime volonté : que ce soit Fubuki qui me donne la mort. Qu'elle me dévisse le crâne comme à un poivrier. Mon sang coulera et ce sera du poivre noir. Prenez, et mangez, car ceci est mon poivre qui sera versé pour vous et pour la multitude, le poivre de l'alliance nouvelle et éternelle. Vous éternuerez en mémoire de moi.
Et pourtant, elle reste tout à fait lucide et essaie de profiter de chaque instant passé dans cette société.
Mais toutes ces blagues et tribulations ne servent pas à embellir la peinture pour rien : il faut bien dissimuler une vérité plus choquante. C'est la place des femmes au Japon à cette époque qui est révélée au grand jour, et surtout celle des femmes en entreprise. Toute une série d'interdictions toutes aussi révoltantes les unes que les autres déchirent le voile d'espérance naïve que la narratrice avait déposé sur la firme Yumimoto.
[…] tout étranger désirant s'intégrer au Japon met son point d'honneur à respecter les usages de l'Empire. Il est remarquable que l'inverse soit absolument faux : les Nippons qui s'offusquent des manquements d'autrui à leur code ne se scandalisent jamais de leurs propres dérogations aux convenances autres.
Même si j'ai beaucoup ri, l'intouchable rêve du Japon se voile devant moi. Hé oui, je suis une petite fan du pays du Soleil Levant, mais je vais réfléchir avant de commander mon billet d'avion. Bien que j'espère que la société ait un peu changé depuis le siècle précédent…
@India - 03/07/2019