25 Août 2019
Lire Machiavel en vacances ? Suis-je folle ? Vous ne croyez pas si bien penser. Ou presque : c'est pour donner une suite à mes cours de philosophie que je m'y suis attelée - de très bonne grâce, je vous rassure. Et oui, étant privée de cette belle matière jusqu'à l'année prochaine, j'ai entrepris de continuer personnellement l’‘enrichissement de ma culture philosophique.
Malheureusement, j'ai lu ce livre en juillet dernier... et ne me souviens plus beaucoup de mes réactions à chaud. Mais, heureusement, j'ai eu la bonne idée de prendre des notes. Il n'y a pas d'histoire ni d'intrigue, seulement une argumentation autour des moyens qu'il faut à un prince pour s'emparer d'un royaume, le garder, le défendre des ennemis et comment en tirer profit.
La meilleure forteresse qu’un prince puisse avoir est l’affection de ses peuples : s’il est haï, toutes les forteresses qu’il pourra avoir ne le sauveront pas; car si ses peuples prennent une fois les armes, ils trouveront toujours des étrangers pour les soutenir.
Celui-ci devient alors un prince exemplaire, qui renforce son savoir par la pratique et la connaissance qu'il a des anciens. Il devient l'ami des peuples, dont il se fait le protecteur et le manipulateur :
On doit bien comprendre qu’il n’est pas possible à un prince, et surtout à un prince nouveau, d’observer dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes sont réputés gens de bien, et qu’il est souvent obligé, pour maintenir l’Etat, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la religion même. Il faut donc qu’il ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes les choses, selon que le vent et les accidents de la fortune le commandent; il faut, comme je l’ai dit, que tant qu’il le peut il ne s’écarte pas de la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal.
Si vous le pouvez, posez vous et prenez votre temps pour le lire. Le Prince est divisé en vingt-six chapitres couvrant 185 pages. S'ils ont l'air courts et agréables à lire, il n'en demeure pas moins que ces écrits invitent à la réflexion.
Ajoutons qu’on appréhende beaucoup moins d’offenser celui qui se fait aimer que celui qui se fait craindre; car l’amour tient par un lien de reconnaissance bien faible pour la perversité humaine; au lieu que la crainte résulte de la menace du châtiment, et cette peur ne s’évanouit jamais.
Le prince, ne pouvant donc, sans fâcheuse conséquence, exercer la libéralité de telle manière qu’elle soit bien connue, doit, s’il a quelque prudence, ne pas trop appréhender le renom d’avare, d’autant plus qu’avec le temps il acquerra de jour en jour celui de libéral. En voyant, en effet, qu’au moyen de son économie ses revenus lui suffisent, et qu’elle le met en état, soit de se défendre conte ses ennemis, soit d’exécuter des entreprises utiles, sans surcharger son peuple, il sera réputé libéral par tous ceux, en nombre infini, auquel il ne prendra rien; et le reproche d’avarice ne lui sera fait que par le peu de personnes qui ne participent point à ses dons.
C'est grâce à ce livre que j'ai pu résoudre certaines problématiques auxquelles je m'étais toujours confrontée sans trouver de réponse ; comme, par exemple, pourquoi est-ce que les peuples ne se levaient-ils pas contre leur chef ? Aimaient-ils donc être dirigés dans leur moindre fait et geste ? Ou encore : pourquoi le prince partait-il à la guerre alors que de sa vie dépendait la survie du royaume ? Cela peut vous paraître anodin car on apprend quelque chose dans tous les livres, mais celui-ci m'a réellement éclairée.
Vous remarquerez que l'argumentation de Machiavel est irréprochable : il explore "les bons et les mauvais côtés" d'une situation, si je puis le dire ainsi, même si tout n'est pas blanc ou noir ; aucune question ne reste en suspens dans votre tête. L'auteur maîtrise parfaitement son sujet, grâce à ses éléments de persuasion :
Véritablement, on ne peut pas dire qu’il y ait de la valeur à massacrer ses concitoyens, à trahir ses amis, à être sans foi, sans pitié, sans religion : on peut, par de tels moyens, acquérir du pouvoir, mais non de la gloire.
qui nous mettent rapidement de son côté. Ce que j'admire chez Machiavel, et c'est ce qui est remarquable et qui a fait du bruit au XVIème siècle, c'est qu'il sait dire les choses telles qu'elles sont, digresser, et par là arriver à une conclusion satisfaisante et qui permet d'avancer dans le discours.
[…] il faut remarquer que les hommes doivent être ou caressés ou écrasés : ils se vengent d’injures légères; ils ne le peuvent quand elles sont très grandes; d’où il suit que, quand il s’agit d’offenser un homme, il faut le faire de telle manière qu’on ne puisse redouter sa vengeance.
Avec tout ça, je n'ai pas encore parlé de l’accueil de ce livre à sa première édition. Ce fut un désastr ! C'est de là que vient le funeste adjectif "machiavélique". Même si Machiavel est « mon prince » de l'argumentation et de la persuasion, ce qui suit risque de ne plus autant vous plaire :
Les cruautés doivent être commises toutes à la fois, pour que leur amertume se faisant moins sentir, elles irritent moins; les bienfaits, au contraire, doivent se succéder lentement, pour qu’ils soient savourés davantage.
Mais la faible prudence humaine se laisse séduire par l’apparente bonté qui, dans bien des choses, couvre le venin qu’elles renferment, et qu’on ne reconnaît que dans la suite, comme dans ces fièvres d’étisie […]
[…] la fortune est femme : pour la tenir soumise, il faut la traiter avec rudesse; elle cède plutôt aux hommes qui usent de violence qu’à ceux qui agissent froidement : aussi est-elle toujours amie des jeunes gens, qui sont moins réservés, plus emportés, et qui commandent avec plus d’audace.
Bon, pas sûr que ce soit pour cette dernière vision de la femme que la réputation de ce livre eut été brisée, mais certaines de ses perspectives et opinions ont été maintes fois remises en question. autant vous dire que je ne connaissais ce livre (et spécialement l'auteur) que pour sa réputation, et j'étais curieuse de découvrir quelle en était la raison. Ce qui est bénéfique, c'est que vous découvrirez bien plus en lisant Le Prince que ce que sa réputation en dit !
@India - 25/08/2019