2 Novembre 2017
J'ai fait tellement de choses pendant ces deux semaines de vacances que je n'ai pas eu le temps de rédiger des articles pour tout. Mais cela ne saurait tarder ! Enfin, quand j'aurai du temps... J'utilise donc un peu de mon temps aujourd'hui pour vous parler d'un livre que je dois lire pour la rentrée : Médée de Max Rouquette. J'avais déjà lu précédemment Médée de Jean Anouilh, je vais donc vous présenter la manière dont je vois cette même intrigue commune, mais tournée différemment.
L'intrigue reste la même, et elle le restera éternellement car "Médée est Médée". Autrefois, Jason accosta avec son navire sur les côtes de Corinthe, à la recherche de la toison d'or. Conquise par cet homme, Médée, la fille du roi, l'aida à s'en emparer, trahissant pour lui son père et tuant son frère frère (faisant aussi assassiner Pélie, l'oncle de Jason, dans de bien étranges et horribles conditions). Plus rien ne la retenant alors en Colchide, Médée s'enfuit dans une barque avec Jason. Bien plus tard, ils ont deux enfants, et fuient le monde comme des étrangers de tout, étrangers partout où ils sont. Et Jason s'est lassé. Médée aime encore Jason, elle est toujours folle de lui comme au premier jour, mais lui plus. Il y a un temps où il l'aimait, où il lui avait dit
Le jour comme la nuit, je me souviendrai toujours de toi : la mort seule pourra nous séparer.
mais ce temps n'existe plus. Maintenant il a trouvé la protection d'un roi, le roi de Corinthe Créon, qui accepte de le protéger s'il épouse sa fille, Creuse. Alors il a accepté. Mais que deviendra Médée ? Seule, abandonnée de tous derrière une vielle couverture rouge, elle se cache. Il lui reste ses enfants, rayon de soleil qui lui rappelle Jason à chaque instant de sa vie. La chair de sa chair, mais aussi celle de Jason. Le roi lui a dit de partir. Elle proteste, elle supplie, encore un jour, avant de fuir toute seule à jamais. Créon hésite, c'est une sorcière, on ne peut pas lui faire confiance. Mais elle a l'air sincère, alors il accepte. Dans un jour, tout pile, Médée partira. Puis c'est Jason qui vient la voir. Oh lui ... ! Il veut les enfants. Non ! Il en fera des rois. Elle, Médée, qui s'est vue arraché l'amour de Jason par Creuse, doit maintenant quitter ses enfants pour parir. Elle a tout quitté pour lui et quittera tout toujours, c'est comme le destin. Mais elle ne veut pas. Pourquoi doit-elle souffrir seule ? Ce n'est pas juste. Jason doit souffrir aussi. Et comment ? Médée seule, qui le connaît bien, mieux que personne même, connaît la porte de son cœur. Elle y enfoncera un couteau, et jamais, jamais Jason n'oubliera Médée. Car
Médée, je suis ! [...] Et Médée demeure.
En lisant cette autré réécriture de l'œuvre antique Médée, j'ai eu un tout autre sentiment que pour Médée d'Anouilh. Dans celle d'Anouilh, je voyais Médée comme un être terriblement diabolique - quoiqu'en proie au desespoir, elle restait diabolique. Ici, je me suis surprise à être tout à fait d'accord avec Médée. D'accord avec toutes ses actions meurtrières et ses propos renversants ? Oui, il faut le faire. Et il faut une raison, aussi. Que vous découvrirez dans ce livre.
Concernant la forme. Tout d'abord, il y a beaucoup de métaphores. Trop d'images évoquées les unes à la suite des autres, on s'y perd. Ensuite, grand nombres de récits. On dit que le roman est le lieu du récit, alors que dit on du théâtre ? Que c'est le lieu... je ne sais pas, moi, des actes ? Et bien, que font là tous ces récits ? Car vous pouvez être sûr de trouver dans chaque réplique de Médée un récit, quel qu'il soit. Et ces récits évoquent parfois des éléments non présents dans le Médée de Anouilh, ainsi que des personnages en plus dans la pièce, tels que Carnal : le vieux, ou le chœur. Tiens, en parlant du chœur, c'est un élément antique que l'on retrouve assez peu aujourd'hui ; je me demande s'il apparaissait aussi dans l'œuvre de Sénèque.
J'ai trouvé ce livre très long. Par rapport à Médée de Anouilh que j'ai lu en une soirée, ce n'est pas la même chose. Tous ces récits qui tournent autour du pot alors que tout le monde avait très bien compris la chose, cette ponctuation forte à n'en plus finir (grande présence de points de suspension), ces vingt-et-une scènes sans actes ralentissent la pièce ; comme si les personnages savaient ce qui allait arriver, et qu'ils essayaient de gagner du temps. Mais les sentiments que traduisent cette œuvre littéraire sont tous autres. (Car oui, j'ai plus vu ce livre comme une œuvre littéraire.) Médée est une manipulatrice, elle cherche à tromper, et se dévoile en même temps. Comme chez Anouilh, elle m'a semblé très agressive. La façon dont elle parle à sa nourrice (ou "la vieille") me choque à un point ! Jamais il ne serait imaginable aujourd'hui de parler ainsi, qui plus est à une personne âgée. Parrallèlement à Antigone dans l'œuvre du même nom de Sophocle (comme je l'a dit aussi dans Médée d'Anouilh, Médée est soumise à son destin ; mais dans Rouquette elle semble encore avoir l'espoir de faire vivre quelque autre action. Elle est en fait le point culminant de l'histoire, c'est elle qui fait vivre toute l'intrigue.
Quand Jason vient la voir pour la première (et unique) fois de la pièce, j'ai décelé dans ma première impression plus d'amour que chez Anouilh :
JASON : Je voulais te voir. Je n'y tenais plus.
Médée possède ce don de dire proprement les choses si vraies :
(MÉDÉE :) [...] lorsqu'elle croira l'étreindre, elle restera, les bras arrondis autour de rien, un rien en forme de ce qui fut Jason [...].
J'ai aussi relevé quelques citations, des phrases importantes pour moi tout comme d'autres qui semblent tout illustrer ; comme celle-ci traite de la sensation phare de Médée : la souffrance, la peur d'être isolée, l'abandon dans une phrase pourtant si simple :
Rien ne ressemble à l'amour comme l'imitation de l'amour.
La morale (que j'aurais d'ailleurs pu vous laisser trouver - il n'y en a sûrement pas qu'une - mais que j'ai trouvé belle alors j'ai voulu la partager avec vous) :
Ne t'attarde pas à l'amour, Médée, où tu es perdue.
[...]
Quand il n'y a plus de place pour l'amour, la haine seule doit tout dominer, la haine partout, et toujours. La haine, seule vérité que le monde ait su t'enseigner.
La clef de la pièce (qu'il faut bien sûr creuser, car une phrase résume plus qu'une phrase) :
(LA VIEILLE :) Quoi qu'il advienne, jamais tu ne pourras revenir en arrière ; et que, morts ou froids, ils ne pourront retrouver la vie dans tes bras ?
La réelle raison pour laquelle j'ai aimé ce livre, malgré tous les points un peu désobligeants que j'ai cité, est que justement, sans avoir lu, vous auriez l'impression que c'est un livre ennuyeux et sans intérêt. Alors que si l'on rassemble toutes ces nuances, on arrive, comme je vous l'ai dévoilé, au message de l'auteur et à ses raisons cachées. Étudier un livre revient simplement à ce demander : pourquoi l'auteur a-t'il fait ça ? Il n'est pas forcément nécessaire d'analyser un passage, on peut rester en surface et connaître tout autant de choses.
@India - 02/11/2017