12 Juin 2019
Bonjour, bonsoir… Non pas bonsoir. Ne lisez pas ceci le soir, ni ne regardez le film dont je vais vous parler. "La déchéance d'un homme" est un film d'animation japonais réalisé par Morio Asaka et le studio Madhouse en 2009, dessiné par Takeshi Obata et adapté d'un livre éponyme de la grande littérature japonaise de Osamu Dazai. Je vous conseille dores-et-déjà d'avoir le cœur bien accroché pour pouvoir prendre assez de recul pour ne pas passer la fin de votre journée à me maudire.
Issu d’une riche famille japonaise, Yôzô fait partie d’un groupe illégal qui essaie d’octroyer de l’argent aux plus pauvres pour faire la révolution contre le gouvernement. Mais un soir où il jouait le rôle d’un personnage pauvre en quête de révolte, la police surgit. S’ensuit une filature mêlée d’affaires sombres, au cours de laquelle il fait la connaissance de Tsuneko, une jeune femme dont le mari est en prison. Ils restent ensemble quelques temps, mais se rendent compte, l’un comme l’autre, qu’ils n’ont plus envie de vivre.
Je suis sûre que ta propre existence te parait absurde.
Ils décident communément de mourir ensemble, et Yôzô pousse Tsuneko d’une falaise, dans la mer. Il devait la rejoindre juste après. Sauf qu’il ne la rejoindra pas juste après. Son suicide a raté, et il se retrouve à l’hôpital, où les journaux s’empressent d’enquêter sur lui. "Les gens" croient à un drame romantique maquillé en double suicide. Empli de honte et de rage, Yôzô devient fou et cherche par tous les moyens de mettre fin à ses jours
Je veux mourir. Je dois trouver une autre façon de m’y prendre.
… tout en recherchant néanmoins son humanité déchue.
Imaginez-vous un personnage mal dans sa peau, antipathique et lâche qui ne trouve pas sa place dans une atmosphère pesante, lourde et oppressante ; le tout noyé dans un halo sombre. Le déroulement de l’histoire est sans arrêt entrecoupé de flashs du passé, de phrases prononcées et d’images, accompagnées de musiques stressantes du genre de Penderecki. Tout cela est bien agréable… Attendez, vous oubliez le principal.
Mes sentiments n'ont pas arrêté de changer tout au long du film. Je voulais que Yôzô parvienne à mourir, puis qu’il arrive à vivre comme un être humain, puis qu’il meurt parce qu’il m'avait déçue et dégoûtée. Certaines situations sont encore ancrées dans mon esprit, par leur violence verbale ou par la perception qu'elles revoient. La femme n'est absolument pas mise à son avantage, encore moins dans ce contexte qu'est l'entre-deux guerres au Japon. Je ne l'ai perçue que comme un objet de satisfaction, aussi bien charnel que de manipulation.
La vie n’est pas facile lorsqu’on est une femme.
Malgré cette dépréciation de surface, j'ai trouvé quelque chose d'intéressant. Sachez tout d'abord que j'avais déjà vu ce film il y a trèèèèèès longtemps (au moins en 3ème je crois), mais je ne m'en souvenais presque plus. À part quelques bribes, qui sont revenues juste à temps pour m'éviter un traumatisme général. Il est enfin temps de vous dévoiler le super secret (indiqué dans le titre) : la dimension philosophique mise en lumière par cette production cinématographique. Bien que cela nous ait tous barbé au lycée, la philo permet de prendre du recul, et surtout, de prendre conscience de certaines choses.
Les gens ne méritent pas qu’on se préoccupe de ce qu’ils pensent.
"La déchéance d'un homme" explore sous toutes ses formes le concept de monstre initié par Hannah Arendt. Rejeté dès l'enfance, Yôzô apprend à rire de lui même et se donner en spectacle, mais au fond de lui il ne s'en amuse pas.
Nous jouons la comédie.
En grandissant, il cherche à ignorer le monstre qui grandit en lui. D'ailleurs, la forme spectrale du monstre est angoissante, c'est pourquoi je ne conseillerai pas de voir ce film avant au moins 14 ans. Même maintenant j’ai eu peur et ai dû faire une pause dans mon visionnage pour ne pas paniquer. En fait, "La déchéance d'un homme" est un film pour tous sauf les enfants. On constate une évolution éthique du personnage, qui cherche à sortir du gouffre dans lequel il est tombé. Au passage, je n'ai pas spécialement apprécié les dessins (Miyazaki reste le maître à ce niveau-là), mais de très belles émotions fortes sont ainsi véhiculées.
Finalement, je ne dois sûrement plus avoir la même opinion que la dernière fois, mais je reste persuadée que le contenu de ce film est immonde. Cependant,
l’art véritable ne doit pas se contenter d’être beau.
Il est toujours bien de prendre du recul : avec les années et le savoir, "La déchéance d'un homme" m'est devenu plus accessible dans son intégralité. Si je refuse catégoriquement de revoir ce film avant un bon bout de temps, j'accepterais volontiers de lire le livre de Osamu Dazai.
Je vous pose le lien direct ici, et vous souhaite de bien pleurer, bien dormir, et bien murir intellectuellement.
@India - 19/05/2019