1 Février 2019
Voilà un des meilleurs auteurs classiques de mon point de vue : Sartre. Combien de fois vous a-t'on parlé de la pièce de théâtre Huis clos sans que vous vous disiez : "je le lirai, je le lirai...", mais que vous ne l'avez jamais lu ? Voici une bonne occasion de vous y plonger, car c'est un incontournable. N'ayez pas peur du titre, je vais vous expliquer de quoi il en retourne, mais sachez dores et déjà que j'ai adoré cette histoire.
Garcin, Inès et Estelle sont trois personnages enfermés dans une pièce, dans laquelle ils sont amenés par un garçon qui se moque de leur situation. Il y a trois canapés dans cette pièce, ainsi que du mobilier du style Second Empire et un bronze sur la cheminée. Pourquoi sont-ils là tous les trois ? Qui sont-ils ? La porte ne s'ouvre plus, et la sonnette ne marche pas. La meilleure solution est de parler. Ils se présentent : Garcin, cocu qui battait sa femme, mort de douze balles dans la poitrine. Inès, asphyxiée par du gaz par Florence. Estelle, morte de chagrin après le suicide de son amant Roger. Tous morts. Pourtant, ils ont un corps, et peuvent interagir comme sur Terre. Ils peuvent aussi entendre ce qu'on dit d'eux sur Terre. Le temps passe différemment, ici : la lumière est toujours allumée, pas de jour, pas de nuit. On parle d'eux quelques temps, et puis plus rien. Ils sont oubliés. Mais eux ? Chacun existe pour les deux autres,
Le bourreau, c'est chacun de nous pour les deux autres.
et la cohabitation n'est pas facile, chacun recherche le confort, la possession, la proximité et le contact humain. Mais à trois, soit on s'unit, soit c'est la guerre. Et pour toujours, ce n'est pas commode.
Cette pièce est la deuxième œuvre de Sartre que je lis, après Les Mains Sales. Et je peux vous assurer que l'on comprend beaucoup plus aisément le message existentialiste dans Huis clos. L'existentialisme est un mouvement de pensée qui assure que l'homme n'existe que par ses actes. Ce qui fait cas ici, car à part l'acte de la parole, le théâtre fait bien sûr scène grâce à la gestuelle :
On meurt toujours trop tôt - où trop tard. Et cependant la vie est là, terminée : le trait est tiré, il faut faire la somme. Tu n'es rien d'autre que ta vie.
Mais cette affirmation peut même se révéler plus poétique que l'on s'y attendait :
Et pourtant, vois comme je suis faible, un souffle ; je ne suis rien que le regard qui te voit, que cette pensée incolore qui te pense.
Ainsi ce livre m'a fait m'interroger sur la fameuse citation "l'enfer, c'est les autres", du même auteur. Les autres ne sont pas si insupportables qu'on se croirait en enfer avec eux, ce qui a longtemps été interprété comme tel, mais le sens en est beaucoup plus profond. Je ne vous dirai pas ce que j'ai compris car je souhaite vous laisser libre de l'interprétation que vous en ferez, mais il ne faut pas aller chercher bien loin. Je trouve clairement que Huis clos explicite le côté existentialiste de la philosophie de Sartre, et permet de se questionner tranquillement.
Passons maintenant aux mouches, également une pièce de théâtre en trois actes suivant Huis clos. Je vous avoue que je l'ai lue parce que j'aime finir ce que j'ai commencé, mais ce n'est pas la meilleure œuvre de Sartre, de mon point de vue, alors je ne vous conseille pas de la lire.
Voulant rentrer dans le thème grec ancien, Sartre reprend le fameux personnage historique d'Agamemnon et sa famille, et retrace l'arrivée de son fils Oreste. Abandonné dès son plus jeune âge par Égisthe, le meurtrier de son père et l'amant de sa mère Clytèmnestre, celui-ci décide de se diriger vers sa ville natale lorsque son précepteur lui apprend la vérité sur sa naissance. Lorsqu'il arrive dans Argos, tout lui est inconnu, et les gens à qui il demande le chemin de la maison d'Égiste le regardent effarés avant de s'enfuir. Il finit par rencontrer le dieu Jupiter déguisé en homme, qui lui explique la triste situation dans laquelle se trouve la ville : depuis la mort d'Agamemnon, le nouveau roi fait porter à son peuple leurs pêchés mais aussi son propre crime. Pour leur ôter tout liberté et conscience du bien, il répète chaque année le stratagème du retour des morts : il ouvre une caverne et des soit-disant morts reviennent pour vingt-quatre heures avec les compagnons qui leur ont fait du tort. Ces pauvres gens trainent leurs fautes, les crient à tout venant et s'en plainent sans relâche. C'est pour expier leur faute originelle qu'il vivent, et ils ne se doutent pas de la manipulation de leur roi, qui, lui attendrait Agamemnon. À ce risque là, il risquerait lui aussi de se prendre à son propre jeu. Au nom de quoi réduit-il si misérablement la vie de ses sujets ? Au nom de Jupiter lui-même, dieu de la guerre et de la mort, dont la statue blanche éclaboussée de sang orne la place.
JUPITER : Ce n'est rien. Un petit talent de société. Je suis charmeur de mouches, à mes heures. Bonjour. Je vous reverrai.
Parbleu. Il est rare qu'un Dieu puisse contempler son image face à face. (Un temps.) Que je suis laid ! Ils ne doivent pas m'aimer beaucoup.
Et autour de laquelle tournent des mouches. Oreste n'est plus si intéressé par cette ville, jusqu'à ce qu'il rencontre sa sœur, Electre, qui essaie de le convaincre de son cauchemar dans cette ville :
ELECTRE : Vous aviez une fille, aussi, ma mère, il me semble. Vous en avez fait une laveuse de vaisselle. Mais cette faute-là ne vous tourmente pas beaucoup.
et de l'en libérer.
Une réflexion sur l'obéissance à l'autorité est intéressante derrière cette pièce, bien qu'elle ne soit pas assez développée à mon goût. Je l'ai trouvée très grotesque : pour un sujet d'origine mythologique, je n'ai pas trouvé la réécriture bien entreprise. Sartre ne cesse d'expliciter son orientation existentialiste, et ce beaucoup trop souvent :
ORESTE : Crois tu que je voudrais l'empêcher ? J'ai fait mon acte, Electre, et cet acte était bon. Je le porterai sur mes épaules comme un passeur d'eau porte les voyageurs, je le ferai passer sur l'autre rive et je m'en rendrai compte. Et plus il sera lourd à porter, plus je me réjouirai car ma liberté c'est lui. Hier encore, je marchais au hasard sur terre, et de milliers de chemins fuyaient sous mes pas, car ils appartenaient à d'autres. Je les ai tous empruntés, celui des haleurs, qui court le long de la rivière, et le sentier du muletier et la route pavée des conducteurs de chars ; mais aucun n'était à moi. Aujourd'hui, il n'y en a plus qu'un , et Dieu sait où il mène : mais c'est mon chemin.
(Bon, merci on a compris, ça fait la troisième fois que tu le répètes.)
Malgré ces passages répétitifs, la poésie de Sartre transperce l'ennui :
Je savais déjà, moi, à sept ans, que j'étais exilé ; les odeurs et les sons, le bruit de la pluie sur les toits, les tremblements de la lumière, je les laissais glisser le long de mon corps et tomber autour de moi ; je savais qu'ils appartenaient aux autres, et que je ne pourrais jamais en faire mes souvenirs.
Voilà quelques petits aperçus du style de Sartre et de ces propos, à vous de juger si cela vous plaira ou non. La fin m'a beaucoup déçue, alors que le début me plaisait plus. Ces éléments ne sont pas objectifs, aussi laissé-je chacun juger comme il le souhaite.
@India - 10/12/2018